Au Bénin, une tentative de coup d’État militaire a été déjouée, dimanche 7 décembre 2025, à Cotonou par les forces armées loyales au gouvernement soutenues par le Nigéria à travers la force en attente de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Sur les réseaux sociaux, ce putsch manqué a surtout révélé l’ampleur de la machine de désinformation pro-junte composée d’activistes et trolls qui se disent soutiens des pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES : Mali, Burkina Faso, Niger).

  • Techniquement désignées sous le jargon de FIMI, (Foreign Information Manipulation and Interference), ces opérations visent à déstabiliser le régime de Patrice Talon par une diffusion industrielle de contenus faux, manipulés  ou fabriqués.  Décryptage. 



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Capture d'écran de publication d'une page pro-junte AES soutenant mordicus le succès de la tentative de putsch au Bénin

Opération grandeur nature de désinformation sur fond de Foreign Information Manipulation and Interference (FIMI). Ce dimanche 07 décembre 2025, il n’y a pas que les armes qui ont crépité. La tentative de coup d’Etat militaire n’était pas que physique. Elle était aussi numérique. Le cyber-espace béninois a été le théâtre d’une opération d’influence informationnelle étrangère dont les serveurs étaient basées dans les pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES : Mali, Burkina Faso, Niger).



Avec pour têtes de pont l’activiste d’origine béninoise Kémi Séba, le Camerounais  Franklyn Nyamsi, le Togolais Egountchi Béhanzin ou encore Ibrahima Maïga, l’activiste pro-junte burkinabé installé aux États-Unis, des dizaines de comptes, pages ou trolls aesiens ont cru pouvoir pousser les Béninois dans les bras des mutins à travers une pluie de publications mensongères.

 

Dès les premières heures de la matinée du dimanche 07 décembre, ils étaient au poste à travers leurs innombrables comptes. Objectif, faire gober aux Béninois et à la communauté internationale que le coup d’Etat a connu un succès. “Urgent: C’est chaud pour un président de la CEDEAO. Rendez-vous à 8h00 pour un direct.”, s'était empressé d’annoncer tôt,  Ibrahima Maïga, l’activiste qui s’affiche fièrement sur une photo près de Ibrahim Traoré, le chef de la junte burkinabè. Avec son média Nouvelles Afrique mis à contribution, il a multiplié des publications prétendant confirmer le coup d’Etat. 

 

Presqu’au même moment, Nyamsi sonne du corps avec une publication interrogative (voir ici) : “BÉNIN: L’étalement de Talon en cours ?”. L’idéologue pro-putschiste écrit dans les minutes qui vont suivre,  que  le lieutenant Tigri Pascal, l’homme à la tête de la mutinerie  aurait pris la parole à la télévision nationale pour annoncer la chute de Patrice Talon.



Dans la foulée, Kémi Séba, conseiller spécial de Tiani, le chef putschiste nigérien s’y est mis avec une vidéo où se réjouit d’annoncer, vociférant, qu’un coup d’Etat a lieu au Bénin et que le président Patrice Talon est mis aux arrêts (voir ici). C’en suivront une avalanche de publications de même nature tendant à faire gober un putsch que les autorités du pays ont rapidement déclaré voué à l’échec, après que les forces de défense et de sécurité aient repris le contrôle de la télévision nationale aux mains des subversifs.

 

 Une stratégie reconnaissable

 

A l’analyse, l’on peut aisément retracer le mode opératoire de la machine de désinformation. Il a consisté la diffusion coordonnée de narratifs pro-junte similaires, utilisables pour légitimer le putsch ou attaquer le gouvernement présumé déchu. 

 

Badona, le principal organe de vérification des faits au Bénin, a pu déconstruire des images hors contexte que des activistes de revendication panafricaniste et cybermilitants basés dans l’AES ont utilisées pour prétendre montrer un soutien massif aux putschistes. L’objectif, faire croire que le coup jouit d’un large appui populaire, ce qui pourrait inciter d’autres à rejoindre, miner la confiance dans les institutions ou produire un effet de pression psychologique.



Les vérifications de Badona ont permis de révéler que ces images ont été prises lors d’une manifestation du 23 janvier 2018 à Cotonou et qu’il n’y avait aucun regroupement de soutien populaire aux auteurs du coup d’Etat manqué.

 

Autre tactique, c’est des accusations non prouvées d’ingérence française. C’est le cas de cette publication Facebook d’un compte dénommé Jule anti Tero qui fait croire que Nicolas Lerner, chef de la DGSE aurait ordonné aux forces armées françaises au Bénin d’intervenir pour “rétablir rapidement,le président Talon dans ses fonctions dans des brefs délais” (voir ici). Ce type d’accusation reprend la rhétorique anti-France utilisée par les juntes installées dans les pays de l’AES pour légitimer leur prise de pouvoir par les armes. Des contenus générés par intelligence artificielle ont été également recensés à cet effet. 

 

En dehors des publications mensongères, les comptes aux identités douteuses n’hésitent pas à s’attaquer à des acteurs de l’information crédible dans le but de saper la confiance de leurs audiences et semer le doute dans les esprits.  Dans un post sur Facebook, Mylène Flicka, une jeune entrepreneure béninoise active sur les réseaux sociaux, témoigne de l’ampleur de la campagne d’influence informationnelle contre le Bénin. “Ce que le 229 (Bénin, ndlr) a fait et a subi en ligne aujourd’hui est UNE GUERRE INFORMATIONNELLE.”, écrit-elle (voir ici). “Nos cerveaux sont le champ de guerre. On subit plusieurs attaques qui ont pour but de manipuler notre réalité.”, ajoute-t-elle. 

 

La direction de publication de Banouto, média leader de l’information crédible en ligne au Bénin, a dû désactiver les commentaires sous ses publications pendant quelques moments pour limiter les attaques et éviter que ces cyberactivistes n’usent de cet espace pour désinformer.

 

 

Tous dans la défense de l’info crédible

Face à cette réalité, il est recommandable que les Béninois se serrent les coudes. Autant les dirigeants que les citoyens à divers niveaux doivent jouer leurs partitions. Les autorités ont le devoir de rendre disponible les informations officielles, de veiller à l’accès aux sources, de préserver l’indépendance des médias dans la diffusion d’information sûre sans risque de représailles. Dans les administrations, les cadres béninois doivent se rendre disponibles sans crainte, également de représailles de la hiérarchie, lorsqu’ils sont sollicités pour fournir une information officielle ou des données nécessaires à la compréhension des faits.

 

Pour ce qui est des citoyens, la principale règle de sûreté à adopter est d’éviter de relayer systématiquement tout ce que l’on trouve sur les réseaux sociaux. Sans relayeurs, les désinformateurs auront moins d’impact. Nonobstant, il est à souligner à ce niveau, le besoin de régulation éthique des plateformes de réseaux sociaux. Il appartient à Meta de faire le travail de salubrité publique sur ses plateformes afin de réduire la portée des fausses informations. Il y a également chez tout citoyen, le besoin de veiller à avoir des canaux d’information sains en choisissant méticuleusement des médias crédibles auprès de qui s’informer etapprendre à distinguer les faits des opinions.

 

Pour ce qui est des médias, ils ont le devoir de travailler à regagner la confiance du public. Cela passe par le développement des réflexes de vérification des faits. La sacralité des faits doit être observée dans un contexte où les opinions servent de moyens de manipulation de masse. Surtout, ne pas tomber dans le périlleux piège de la course aux clics qui conduit plusieurs médias à se transformer en relayeurs de fausses informations ou de narratifs produits à des fins inavouées. 

 

L’un dans l’autre, seule une prise de conscience collective et un engagement collectif ferme à défendre le droit à l’information crédible peuvent aider nos sociétés face aux dérives des manœuvres de désinformation à l’ère des réseaux sociaux.

 

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