Depuis le 29 mars 2022, de nombreuses publications sur Facebook et Whatsapp annoncent la radiation du professeur Joël Aïvo de la fonction publique pendant qu’il purge une peine de 10 ans de prison. Des vérifications effectuées par Bénin Check Info auprès des sources officielles, il ressort qu’aucun acte de radiation n’existe à la date du 02 avril 2022.
« Le professeur Frédéric Joël AIVO vient d'être radié de la fonction publique à compter du 1er Avril 2022. ». Cette annonce circule sur les réseaux au Bénin depuis le 29 mars. Avec la mention "scoop", de nombreux internautes béninois relaient ou reprennent cette annonce sur Facebook ainsi que sur la l’application de messagerie Whatsapp.
« Bénin | info. Condamné par la cour de répression des infractions économiques et du terrorisme CRIET a 10 ans de prison ferme et à 45 millions de francs CFA d'amende, Le professeur Frédéric Joël AIVO vient d'être radié de la fonction publique à compter du 1er Avril 2022 », annonce sur Facebook la page MTA_SONG le Dadjè national dans un post du 30 mars. Cette publication illustrée avec une image du professeur Joël Aïvo, debout bras croisé et souriant dans une costume bleue, a suscité 143 commentaires, 28 partages et plus de 300 mentions "J’aime" et associées au 31 mars.
Pour certains, la radiation de l’agrégé de droit constitutionnel aurait été décidée au ministère de l’Enseignement supérieur. Pour d’autres, c’est une décision du ministère du Travail et de la Fonction publique. Des internautes plus incisifs n’hésitent pas à sourcer « officiel » pour tenter de convaincre leur audience.
Bémol à la source
A l’origine de cette annonce, une publication du journaliste multimédia et web-activiste Hugues Comlan Sossoukpè. « #Breaking News: le gouvernement du Bénin veut radier le Professeur Frédéric Joël Aïvo de la fonction publique.
Condamné à 10 ans de réclusion ferme et à une amende de 45 millions de francs CFA pour complot contre l'Etat et blanchiment de capitaux au bout d'un procès politique par la Criet le 06 décembre 2021, l'opposant Frédéric Joël Aïvo est en passe d'être radié de la fonction publique », alerte-t-il dans son post du 29 mars à 9h 57 heure béninoise.
« Selon des informations auxquelles nous avons pu accéder, le ministère de l'Enseignement Supérieur vient de déclencher une procédure disciplinaire contre le Professeur de droit constitutionnel qu'il accuse d'avoir abandonné son poste », fait savoir le web-activiste qui a l’habitude de lancer des alertes.
Contacté jeudi 31 mars par Bénin Check Info, service de vérification de Banouto, Hugues Sossoukpè persiste, mais bémolise. « Je n'ai pas encore en ma possession l'acte de radiation. Je ne saurais dire si la radiation a déjà été prononcée. Ma source m'a juste fait savoir que la procédure avait été engagée. Je ne sais si elle a déjà été finalisée. Dans ma publication à propos, j'avais dit que la procédure était en cours. », a répondu l’activiste. Après une relance à sa source, sa réponse reste bémolisée. « La procédure n’a pas encore abouti. Il faut un conseil de discipline pour avoir le fin mot de l'affaire. On n’y est pas encore. Mais je te confirme que le ministère a saisi le décanat via le rectorat pour suite à donner », rapporte Hugues Sossoukpè auprès de sa source pour Bénin Check Info.
Pour lui, il revient au ministère de l’Enseignement supérieur d’apporter le démenti. « Si le ministère infirme, pourquoi il ne fait pas un démenti à travers sa cellule de communication et ses médias partenaires ? ».
« Il n’y a pas de procédure de radiation » contre Aïvo
La radiation annoncée sur les réseaux n’est pas effective selon les sources officielles contactées. Au niveau du ministère de l’Enseignement supérieur, l’annonce fait un effet de surprise. « Oh ! nous, on n’a pas ça chez nous… Je n’ai pas vu quelque chose comme ça », a réagi toute étonnée la ministre de l’Enseignement supérieur, Eléonore Ladékan Yayi jointe par Bénin Check Info. Au niveau des services du ministère de tutelle, la réponse est catégorique : « Le ministère de l’Enseignement supérieur n’est pas au courant d’une procédure de suspension. A notre niveau, il n’y a pas une procédure de radiation », démentent-ils.
Du côté de la Faculté de droits et de sciences politiques (FADESP) où intervient le professeur agrégé, aucune information n’a filtré. Joint au téléphone, le professeur Djossè, doyen de la faculté se plaignant de l’impact des fausses informations n’a pas souhaité réagir et a signifié que le décanat n’est pas l’employeur du professeur Aïvo.
Au niveau du ministère du Travail et de la Fonction publique, le point focal en charge du contact avec la presse dément l’existence de procédure de radiation du professeur Joël Aïvo. « Le ministère du Travail et de la fonction publique n’a engagé aucune procédure. Ni de radiation, ni de procédure. Rien n’est engagé à son encontre », a répondu, Ambroise Ahokou, point focal du Ministère du Travail et de la Fonction publique.
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Me Robert Dossou, avocat du professeur Joël Aïvo n’est non plus au courant. Contacté au téléphone, samedi 2 avril 2022, l’avocat hors du territoire national depuis trois semaines a indiqué qu’il n’est « pas du tout » informé.
Également joint, le porte-parole du gouvernement n’a pas souhaité réagir indiquant qu’il n’en sait rien et n’en a discuté avec personne.
Une possibilité dans la loi
Même si elle n’est pas pour l’instant effective contre le professeur Joël Aïvo comme l’annoncent les publications sur les réseaux sociaux, la révocation d’un fonctionnaire est une sanction prévue par le législateur béninois. En son article 80, la loi portant statut général du travail dispose que « La révocation emporte exclusion définitive du fonctionnaire du corps auquel il appartient ». Le texte prévoit deux spécifications en cas de révocation.
Il y a la sanction de révocation sans perte des droits à pension. Elle est prononcée à l'encontre du fonctionnaire dans les cas de « malversation financière d'au moins cinq cent mille (500 000) francs commission par l'agent ayant accompli moins de quinze (15) ans de service » ; d’« abandon de poste après soixante (60) jours » ; de « détournement de mineur ». Pour d’autres types de fautes, renseigne le même article 80, le fonctionnaire peut être frappé par la sanction de révocation avec perte des droits à pension. Entre autres cas, lit-on, lorsque survient une « condamnation à une peine d'emprisonnement ferme d'au moins trois (03) mois pour des fautes professionnelles » ; « condamnation à une peine d'emprisonnement ferme d'au moins trois (03) mois pour des fautes intentionnelles non professionnelles : atteinte à la sûreté de l'État ».
A la question de savoir s’il est possible de radier l’universitaire après sa condamnation à 10 ans de prison pour « atteinte à la sûreté de l’Etat », son avocat, l’ancien bâtonnier Me Robert Dossou répond : « Tout est possible. Mais comme c’est une condamnation politique, on ne peut encore rien dire ».
En raison de son statut d’enseignant d’université publique, le professeur Joël Aïvo pourrait bénéficier d’une situation atténuante. Au Bénin, c’est l'Organe National de Contrôle et d'Ethique dans l'Enseignement Supérieur qui a pouvoir d'autorité disciplinaire. « Il est compétent pour proposer les sanctions disciplinaires prévues à l'article 69 et suivants de la loi n° 2015-18 du 1er septembre 2017 portant statut général de la fonction publique telle que modifiée par la loi n° 2018-35 du 5 octobre 2018, sans préjudice de poursuites judiciaires » informe le décret n° 202I-379 du 14 juillet 2021 portant statuts-type des universités publiques en République du Bénin.
« Indépendamment des dispositions de l'article 69 et suivants de la loi n° 2015-18 du 1er septembre 2017 portant statut général de la fonction publique telle que modifiée par la loi n° 2018-35 du 5 octobre 2018, I'Organe National de Contrôle et d'Ethique dans l'Enseignement Supérieur est également compétent pour proposer contre les enseignants des universités publiques du Bénin des sanctions attachées à leur qualité d'enseignants du supérieur », lit-on également.
Verdict
Contrairement à ce qu’annoncent de nombreuses publications sur Facebook et Whatsapp, il n’existe aucune preuve de radiation du professeur Joël Aïvo. Les responsables joints au ministère de l’Enseignement supérieur ainsi qu’au ministère du travail et de la fonction publique démentent formellement l’existence d’une procédure contre l’universitaire. Son avocat, l’ancien bâtonnier Me Robert Dossou n’a non plus connaissance d’une telle décision.
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