Frontière Bénin - Niger : quel est cet avion de l’armée française aperçu dans le nord ?

D’après les vérifications de Badona : 

- il s’agit plutôt de l’appareil français F-GYEE

- l’opération a été effectuée sur le territoire béninois à la demande de l’armée béninoise et dans le cadre de la lutte contre le terrorisme 

- Rien ne prouve que cette opération était dirigée contre le Niger comme le fait penser le commentaire de la télévision nigérienne

Le vendredi 16 août 2024, la télévision nationale du Niger publie une vidéo d’une minute 45 secondes. Dans la séquence mise en ligne par Issoufou Zabeirou, le journaliste Abdoulaye Coulibaly fait savoir que « tout récemment, un avion de reconnaissance B350 ISR, immatriculé F-GIEE de l’armée de l’air française a été aperçu au Bénin au-dessus du territoire avec le Niger ». 

Selon le journaliste commentant des images, « après avoir mené ses opérations, l’appareil a regagné sa base à Cotonou ». Il ajoute que cette « nouvelle révélation met en lumière la présence française dans la région ». Et d’ajouter : « En même temps qu’elle soulève des interrogations quant aux causes réelles de cette présence. Au demeurant, l’hostilité du Bénin à l’égard de notre pays, le chef de l’Etat y a fait récemment allusion était déjà connue »(sic), commente-t-il. 

En légende à la vidéo, le journaliste de la télévision nationale nigérienne invite le peuple nigérien à « rester vigilants face aux actes d'hostilité à l'encontre de notre pays (le Niger, ndlr), particulièrement en provenance des voisins du Sud : Nigéria et Bénin ». Ce, poursuit-il, malgré la montée en puissance des forces de défense et de sécurité nigérienne. 

A la date du lundi 16 septembre 2024, la vidéo a été lue près de 90 000 fois. Elle a reçu plus de 1 800 mentions, plus de 230 commentaires et plus de 620 partages. 

Cette vidéo est publiée par la télévision nigérienne dans un contexte de crise entre le Niger et le Bénin où Niamey accuse son voisin de servir de base arrière à des pays qui lui sont hostiles (Voir cet entretien du président Abdourahamane Tiani ici).  

L’appareil F-GYEE et non F-GIEE 

Pour vérifier l’information donnée par la télévision nationale nigérienne, Badona s’est référé à Flightradar, un outil qui suit les vols de milliers d’avions dans le monde en temps réel. L’outil ne montre aucun vol militaire français avec le matricule F-GIEE cité par le journaliste Abdoulaye Coulibaly. Par contre, nous avons pu détecter l’avion B350 ISR de l’armée française, immatriculé F-GYEE qui a survolé le ciel béninois les 14 et 16 août et les 8 et 10 juillet 2024. 

Contacté par Badona, l’ambassade de France à Cotonou confirme le survol de l’avion B350 ISR de l’armée française, immatriculé F-GYEE sur le territoire béninois notamment les 14 et 16 août 2024. Elle précise que l’appareil a mené des opérations dans le Nord du Bénin, sur le territoire béninois au profit de l’armée béninoise. Cette opération, a-t-elle ajouté, s’inscrire dans le cadre de la coopération militaire avec le Bénin dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. 

« Dans le cadre de cette coopération et sur demande des autorités béninoises, la France peut mettre ponctuellement à disposition des Forces armées béninoises (FAB) qui l’auraient sollicité un appareil de reconnaissance pour recueillir des informations utiles aux FAB. Cet appui ponctuel des FAB grâce à un avion léger de reconnaissance mis à disposition par la France ne revêt aucun caractère secret », répond l’ambassade de France sans donner de précisions sur les localités sillonnées par l’appareil. 

D’après l’ambassade de France à Cotonou, il n’y a rien de secret autour de cette opération. « Comme tout appareil », l’avion B350 ISR de l’armée française, immatriculé F-GYEE « est doté d’un transpondeur, ce qui permet à n’importe qui de vérifier aisément son activité via des applications telles que Flightradar ». 

Mais attention ! Sur l’outil Flightradar, nous avons constaté que les localités précises survolées par l’avion ainsi que la base du départ et d’arrivée ne sont pas renseignées. Relancée sur cette dissonance, la représentation française au Bénin s’en lave les mains. 

« Nous confirmons l’ensemble des éléments transmis initialement. De même, nous pouvons vous confirmer que le transpondeur de cet avion était bien allumé tout au long du vol et que le signal a bien été émis. Mais nous ne pouvons être tenus responsables des informations transmises par les applications de suivi de traçage de vols du trafic aérien », martèle-t-elle. 

Notre message envoyé le mardi 27 août 2024 pour obtenir la réaction de l’armée béninoise est restée, pour l’heure, sans réponse. 

Quid de avion F-GYEE

Selon le site spécialisé dans les informations de défense, Defensa, l’appareil F-GYEE est un avion militaire français de surveillance, de renseignement et de collecte d'informations pour permettre à un commandement militaire de prendre des décisions. Ses capteurs avancés, informe le site spécialisé, sont principalement composés d'un collecteur de signaux électromagnétiques, ainsi que de systèmes de capture d'images et de vidéos, à tout moment, y compris de nuit ou sans visibilité infrarouge. En 2019, l’avion B350 ISR, immatriculé F-GYEE a été militarisé et mis à la disposition de l'escadron électronique aéroporté 00.054 Dunkerque puis détaché sur l'opération « Barkhane » (Voir ici). 

Coopération militaire Bénin-France 

Cotonou et Paris ont en commun un partenariat militaire. En mai 1917, le Sénat français a autorisé un projet de loi adopté par le parlement autorisant l’approbation de coopération militaire technique entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République populaire du Bénin. Le document consulté sur le site officiel du Sénat, Chambre haute du parlement français renseigne que « l'accord comporte trois titres ». Le premier titre est relatif aux personnels militaires français, le second, à la formation en France des cadres des forces armées du Bénin et le troisième enfin, à la fourniture par la France de matériel et d'équipement militaires. 

La France accompagne le Bénin dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans sa partie septriontale, informe un compte rendu de la visite à Cotonou, du Chef d’État-Major des Forces armées françaises, le Général Thierry Burkhard, le 9 décembre 2023 sur le site du gouvernement. « L’armée française reste et demeure en effet un des partenaires privilégiés du Bénin dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Depuis les premières attaques des groupes armés dans le nord du pays, l'hexagone n’a cessé apporter assistance, instruction, et formation à l’armée sœur du Bénin », renseigne le gouvernement dans un article publié sur son site officiel.

Un peu plus tôt dans l’année, le 7 avril 2023, l’armée béninoise a reçu de la France, un don d’un dispositif de communication performant composé de postes émetteurs récepteurs VHF, de radios portatives, des moyens de détection et des moyens de déminage dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et les groupes armés. Le 20 janvier 2023, l’ambassadeur de la France près le Bénin, Marc Vizy a remis un lot de 8 véhicules avant blindés sur une prévision de 15, vendredi 20 janvier 2023 aux forces armées béninoises. (La mission militaire de l’ambassade de France au Bénin, la coopération structurelle de défense et l’actualité coopération défense entre Cotonou et Paris sont accessibles ici). 

Décrispation d’une crise diplomatique

Le Bénin et le Niger traversent une crise diplomatique depuis le coup d’Etat du 26 juillet 2023 contre le président Mohamed Bazoum. Suite au putsch, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a décidé de la fermeture de ses membres dont le Bénin au Niger. Malgré la levée de l’embargo par l’institution sous-régionale et la réouverture des frontières côté béninois, le Niger a maintenu de son côté ses frontières fermées contre le Bénin. Les autorités militaires au pouvoir accusent dans la foulée, le Bénin d'abriter sur son territoire des bases militaires françaises en vue d’attaquer Niamey. L’accusation prononcée par le premier ministre nigerien Ali Lamine Zeine fait monter la tension d’un clan. 

Le désormais ex-ambassadeur de France près le Bénin, Marc Vizy en poste au moment des faits a apporté un démenti formel à l’accusation de Niamey. « Au Bénin, il n’a jamais eu de bases militaires françaises », a-t-il déclaré de façon catégorique. Son démenti a été renchéri par Wilfried Léandre Houngbedji, porte-parole du gouvernement béninois au micro de RFI : « C'est absolument une fausse information : il n'y a aucune base militaire en construction au Bénin, il n'y a aucun accord militaire entre le Bénin et la France qui demande qu'une base soit installée ici. Il n'y a aucun projet en perspective d'accueillir une base ». 

Pour baisser la tension entre Cotonou et Niamey, les anciens présidents béninois Nicéphore Soglo et Thomas Yayi se sont rendus, le 24 juin 2024 au Niger où ils ont rencontré le chef de la junte au pouvoir, le Général Abdourahamane Tiani pour une médiation. Depuis, les lignes semblent bouger avec la prise de fonction, le 6 août 2024, à Niamey de Gildas Agonkan, ambassade du Bénin et la rencontre entre les ministres béninois et nigérien des affaires étrangères à Beijing en Chine, le 6 septembre 2024. 

Verdict 

Comme annoncé par la télévision nationale nigérienne, un avion de reconnaissance de l’armée de l’air française a survolé le territoire béninois pour mener des opérations dans le Nord du Bénin. Il ne s’agit pas de l’appareil B350 ISR, immatriculé F-GIEE, mais plutôt de l’avion de reconnaissance  B350 ISR, immatriculé F-GYEE. Ses opérations ont été menées sur le sol béninois à la demande des Forces armées béninoises dans le cadre de la coopération militaire entre le Bénin et la France. Il n’existe aucune preuve que ces opérations de survol étaient dirigées contre le Niger.

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